Lancée par l’association Droits devant !! en 2008, la campagne « Stop au racket sur les cotisations des travailleurs sans papiers, stop à l’injustice fiscale » réunit désormais 48 organisations. Aujourd’hui, nous rappelons son histoire, ses motivations et dressons un état des lieux de la situation des sans-papiers. Nous présentons également cinq témoignages représentatifs du parcours des sans-papiers qui vivent en France (entre 200 000 et 400 000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur).
NOS OBJECTIFS
- Dénoncer le racket que subissent les travailleurs et travailleuses sans papiers qui versent en vain des cotisations sociales, ainsi que l’injustice fiscale dont ils sont victimes
- Revendiquer l’arrêt des expulsions, la régularisation de toutes et tous les sans-papiers, ainsi que la rétroactivité des droits qui auraient dû être acquis par leur travail (retraite, chômage…)
HISTOIRE
Depuis 2008, la campagne « Stop au racket sur les cotisations des travailleurs sans papiers, stop à l’injustice fiscale » a mené des dizaines de manifestations et d’actions. Nous avons ainsi sensibilisé l’administration (URSSAF, CNAV, Pôle Emploi, direction générale des Finances publiques) et le gouvernement français (Ministère de l’Économie et des Finances, Premier Ministre), ainsi que les ambassades et consulats des pays d’origine des sans-papiers (Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Comores, Congo, Haïti, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Sénégal, Togo, Tunisie), aux problèmes rencontrés par ces travailleurs et travailleuses. Ces mobilisations et ces rencontres officielles nous ont permis d’éviter de nombreuses expulsions, d’obtenir des régularisations et d’influer sur l’opinion publique.
ACTIONS
Pour faire entendre la voix des sans-papiers, les collectifs de sans-papiers, associations, syndicats et partis politiques membres de la campagne occupent des lieux symboliques de l’État : centres des Finances Publiques, agences de Pôle emploi ou de l’URSSAF… Leur but ? Obtenir des rendez-vous pour faire pression sur les décideurs administratifs et politiques. Lorsque nous rencontrons le Ministère des Finances, les organismes de protection sociale ou même le cabinet du Premier Ministre, les délégations se composent toujours de sans-papiers et de soutiens.
Avec le temps, nos arguments sont entendus et troublent de plus en plus les responsables administratifs et politiques qui nous reçoivent. Les relations entre les administrations et les sans-papiers s’améliorent parfois considérablement, mais la régularisation globale reste un combat.
ÉTAT DES LIEUX
L’histoire des sans-papiers
En 1972, les circulaires Marcellin-Fontanet limitent pour la première fois les régularisations de travailleurs immigrés. En 1974, nouvelle étape : la France ferme ses frontières à la main-d’oeuvre étrangère (hors Union européenne).
Avant 1974, les travailleurs immigrés procédaient à des va-et-vient permanents entre leur pays d’origine et leur pays d’installation. Souvent, ils retournaient dans leur village après quelques années et étaient remplacés dans le même emploi par un membre de leur famille ou un autre habitant. Après 1974, tout change : les immigrés se voient obligés de ne plus sortir du territoire français, car ils risqueraient de ne plus pouvoir y revenir, ou de ne plus pouvoir céder leur place.
A la suite de ces évolutions, les travailleurs sans papiers rencontrent de plus en plus de difficultés pour être régularisés. Et c’est un véritable racket qui s’est institutionnalisé, pour le plus grand profit de l’Etat et du patronat français.
Comment les sans-papiers cotisent
Une forte proportion de sans-papiers travaillent de manière déclarée et paient donc des cotisations – soit sous leur vrai nom, soit sous un alias :
- En général, les sans-papiers qui travaillent sous leur vrai nom ont autrefois été en situation régulière : étudiants, malades… C’est le cas d’Agnès et de Mohammed. Le patron (qu’il soit au courant ou non) peut ainsi continuer à employer le salarié, ou même l’embaucher avec son numéro de sécurité sociale. D’autres sans-papiers, comme Sacko, possèdent une fausse carte – une pratique marginale.
- Les sans-papiers sous alias, comme Diawara, se servent de la carte d’une personne qu’ils connaissent – un procédé répandu. En effet, les organismes qui collectent les cotisations ne sont pas très exigeants sur l’origine de ces dernières… Étrangement, ils se montrent bien plus réticents quand il s’agit de verser les prestations auxquelles les sans-papiers ont droit !
Les sans-papiers et les impôts
Tous les sans-papiers, qu’ils soient déclarés ou non, paient des impôts. En effet, ils contribuent, comme tout un chacun, à la principale recette fiscale de l’Etat : la TVA (131,9 milliards d’euros en 2011).
Concernant l’impôt sur le revenu, il faut distinguer 3 possibilités :
- les sans-papiers déclarés sous leur vrai nom. Traités par l’Administration fiscale comme tout autre contribuable, ils reçoivent tous les ans une déclaration pré-remplie avec, le cas échéant, le montant à déclarer pré-inscrit.
- les sans-papiers déclarés sous un alias. Dans ce cas, c’est le prête-nom qui reçoit l’avis d’imposition. La carte étant le plus souvent utilisée par plusieurs sans-papiers (et le prête-nom travaillant également lui-même), le taux d’imposition est calculé à partir du total des sommes gagnées par tous les salariés usant de la même identité. Au final, les sans-papiers se partagent le paiement d’un impôt équivalent à celui d’un cadre bien rémunéré, alors qu’individuellement, ils ne seraient bien souvent pas imposables (rappelons que la moitié des Français sont non-imposables et que les sans-papiers occupent fréquemment des postes faiblement rétribués). Notons que l’Administration fiscale n’est pas très regardante sur le cumul des rémunérations et des employeurs…
- les sans-papiers travaillant de manière dissimulée. A la suite de notre campagne, ils sont de plus en plus nombreux à déclarer leurs revenus. Ils affirment ainsi leur citoyenneté et leur volonté de rentrer dans la légalité.
Ils reçoivent eux aussi un avis d’imposition et une déclaration pré-imprimée.
L’État français face à ses contradictions
Grâce à notre mobilisation, l’Administration fiscale reconnaît aujourd’hui l’existence de tous les sans-papiers, en leur envoyant leur déclaration de revenus. Quant aux organismes qui collectent les cotisations, ils ont admis devant nous que les sans-papiers sont spoliés de leur droit à prestations !
Au total, chaque année, l’État encaisse des centaines de millions d’euros sur le dos des sans-papiers. Pourtant, il les montre du doigt, les pourchasse, les enferme et les expulse. Pour mettre fin à cette injustice, nous réclamons la régularisation globale des sans-papiers !
TÉMOIGNAGES *
Cinq sans-papiers parlent de leurs conditions de vie, de la situation de leur pays d’origine et de leur contribution à l’économie, en France comme là-bas…
Sacko, malien, cuisinier, 10 ans de cotisations
« Je suis arrivé en 2000. Depuis octobre 2002, je suis cuisinier. Auparavant, je travaillais dans le bâtiment. J’ai toujours eu des fiches de paie, grâce à ma fausse carte. En février 2008, j’ai été licencié. Avant de trouver un autre poste, je suis resté treize mois sans emploi et je n’ai reçu aucune allocation, alors que j’ai toujours payé mes cotisations – mais aussi mes impôts : 658 € en 2003, 1 018 € en 2004, 653 € en 2008.
Pourquoi refusent-ils de nous régulariser alors qu’ils prennent notre argent ? Pour moi, ce racket, c’est l’économie souterraine de l’État. Ils disent que les sans-papiers coûtent des millions au pays, mais ils ne diront jamais combien de milliards sont entrés dans les caisses grâce aux sans-papiers ! Un autre problème, c’est les reconduites à la frontière : ils se vantent de leurs chiffres (33 000 en 2011 !), mais ils ne disent jamais aux Français ce qu’ils dépensent pour nous expulser ! **
J’envoie de l’argent tous les mois à mes parents, frères, sœurs restés au pays. Cela a contribué à la construction d’une maison et de plusieurs écoles, à la réhabilitation de l’hôpital… Les écoles, les hôpitaux, les projets d’adduction d’eau… C’est la diaspora qui les finance. Les maliens expédient des fonds pour leur famille, pour la nourriture, pour les études des enfants… ***
Si l’agriculture était bien développée au Mali, si le pays était autosuffisant, ça améliorerait les choses. Le Mali est un pays continental, il n’a pas accès à la mer, tout y est cher. Et l’Organisation Mondiale du Commerce participe à notre appauvrissement. Elle nous impose les prix de nos propres produits – café, cacao, coton… Si on pouvait les vendre à des tarifs corrects, correspondant à leur valeur réelle, on n’aurait même pas besoin de venir ici ! Si le commerce mondial était bien régulé, il y aurait beaucoup moins d’immigration. Si nous sommes en France, ce n’est pas pour la belle vie. C’est par nécessité ».
* Propos recueillis au printemps 2012. Depuis, la situation globale des sans-papiers n’a malheureusement pas changé.
** Selon le projet de loi de finances 2009 du Sénat, le coût global des reconduites à la frontière atteindrait 415,2 millions d’euros, soit 20 970 euros par personne.
*** Selon la Banque Mondiale, le montant des fonds envoyés par les travailleurs émigrés dans leur pays d’origine s’élevait à 325 milliards de dollars en 2010, soit presque trois fois les sommes versées par les pays riches au titre de l’Aide Publique au Développement.
Agnès, ivoirienne, nourrice, 4 ans de cotisations
« Je garde des enfants. Je suis partie de Côte d’Ivoire en 2003 pour trouver un travail, mais aussi parce que j’ai mon premier fils ici, que je n’ai pas vu pendant 18 ans. Il est venu avec son père à l’âge de dix ans, il est français, marié à une Française et il a une petite fille.
Je suis déclarée depuis 2008, à la suite de ma régularisation pour maladie en 2007. En 2010, ils m’ont dit que j’étais guérie et que je devais quitter la France. Je suis donc redevenue sans-papiers. Pourtant, je suis toujours malade, et j’ai toujours besoin de ma ventoline. Dans mon pays, le traitement est très coûteux. Je ne peux pas me soigner là-bas, surtout sans emploi. Il n’y a pas d’assurance maladie. Si tu n’as pas d’argent, tu meurs…
Ici, je travaille, je cotise, j’ai l’assurance maladie. Mais si je suis licenciée, je n’aurai pas d’indemnités et je ne pourrai même pas payer mon loyer… Quand j’ai perdu mes papiers, j’ai tout expliqué à ma patronne et elle m’a dit qu’elle allait s’occuper de tout. Elle a rempli le formulaire CERFA et j’attends désormais que mon dossier avance à la préfecture.
Chaque mois, j’aide mes parents, frères et sœurs restés au pays. Si je perds mon travail, ce sera la catastrophe là-bas. Nous [la diaspora] sommes leur espoir. Ils prient toujours pour que notre situation s’améliore, se régularise afin qu’eux aussi puissent respirer au pays. Ils ne sont rien là-bas. Tous les jeunes sont au chômage, même ceux qui ont des diplômes. Certains tentent d’ouvrir un commerce, mais il n’y a pas de clients…».
Valentine, togolaise, femme de ménage, 3 ans de cotisations
« J’ai travaillé dans la garde d’enfants et de personnes âgées, puis dans le nettoyage. Je déclare mes impôts depuis le début et j’ai des fiches de paie depuis 2009.
Je suis partie en vacances en France en 2003, et j’ai fait un malaise. On a vu le médecin, il a demandé à la préfecture de prolonger mon séjour pour faire des analyses, mais elle a refusé. Je suis quand même restée en France et on m’a dépisté une hépatite C. Toutes mes demandes de séjour ont été rejetées : on m’a dit de revenir quand ce serait grave.
Mon salaire varie selon les mois, j’envoie de l’argent au pays quand je peux. J’ai encore un fils là-bas, qui termine ses études de commerce. Je paie sa scolarité, ses habits, son logement… Son père est décédé l’année dernière. Si je suis régularisée, j’aimerais travailler normalement, continuer à soutenir mon fils, m’associer avec lui, ouvrir un restaurant au pays, permettre à des jeunes d’y travailler… Si tout allait bien au Togo, je préférerais retourner là-bas. Mais la situation est très difficile. Si on n’a pas de parent en Europe, on n’a rien. Et le gouvernement, c’est une famille qui ne veut pas céder le pouvoir, le fils a succédé à son père… Ça n’avance pas à cause de cette dictature ».
Mohammed, algérien, maçon ferrailleur, 4 ans de cotisations
« Je suis maçon ferrailleur, j’ai des fiches de paie depuis 2005. Je suis tombé malade en 2004 – un problème de colon – et j’ai reçu ma carte dans la foulée. En 2007, ils ont considéré que j’étais guéri. J’ai perdu mes papiers, mais j’ai continué à être déclaré.
Depuis 2011, mon patron sous-traite ses chantiers pour ne pas avoir à les superviser lui-même. Du coup, il ne fait plus appel à moi… Il ne m’a pourtant pas envoyé de lettre de licenciement et il me doit de l’argent. J’ai fait un dossier d’aide juridictionnelle, car je veux l’attaquer en justice. En plus, j’ai quatre ans et demi de cotisations, mais comme je suis sans-papiers, je n’ai pas droit au chômage ! Et je déclare mes impôts depuis 2004. J’en ai même payé : 481 € en 2006 !
Je suis arrivé en 2001 avec un visa touristique. Comme beaucoup d’Algériens venus en France à cette époque, je suis resté à cause de la guerre civile, mais aussi du chômage. Ici, j’ai de l’espoir. Si on me donne des papiers, je vais peut-être créer une boîte, alors que là-bas, je suis sûr de ne rien trouver. Au pays, il faut avoir du piston. Si on ne connaît personne, on n’a rien. Ma mère et mes frères, je leur ai envoyé ce que j’ai pu. Mais ce n’est pas suffisant, car la vie est chère. Dernièrement, ils ont augmenté le Smic à 15 000 dinars, l’équivalent de 150 euros… Tu ne peux rien faire avec ça ».
Diawara, sénégalais, agent d’entretien, 8 ans de cotisations
« Je suis arrivé en 2000. Je travaille sous un alias pour soutenir ma famille au pays, que je n’ai pas vue depuis 12 ans parce que je suis sans-papiers…
Nous, on a une culture d’entraide. Si je n’avais pas quitté le Sénégal, j’aurais vu souffrir mon père et ma mère sans avoir les moyens de les soigner. En voyant leurs ordonnances, je suis content d’être resté ici. En 2009, mon fils a eu une tumeur au cerveau, à l’âge de 18 ans. J’ai tout financé : 500 000 francs CFA (800 €) pour l’opération. Il est décédé, mais je suis satisfait d’avoir pu l’aider jusqu’à son dernier jour.
J’ai travaillé 16 ans au Congo- Brazzaville. Je ne parvenais pas à m’en sortir, et j’ai pris la décision d’aller en France pour avoir une vie moins malheureuse grâce au travail. Je souhaite avoir mes papiers et mes droits parce que je me lève à 5h30, je rentre chez moi à 20h, puis je me couche… Je n’ai jamais eu un arrêt maladie, j’aime bosser, je ne veux pas la vie facile. Je ne suis pas un bandit. Je demande une seule chose : être comme tout le monde ».
Association Soutien et Information pour l’Accès aux Droits (ASIAD) – Association des Militants pour l’Intégration Totale des Immigrés (AMITI) – Association de Défense des Droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM) – Association des Marocains en France (AMF) – Association des Travailleurs Maghrébins en France (ATMF) – Association des Tunisiens en France (ATF) – Association Malienne des Expulsés (AME) – ATTAC France – Autremonde – CAPJPO – CGT Caisse des Dépôts – Collectif CGT sans-papiers Cannes – Collectif d’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) – Confédération Paysanne – Convergence des Causes – Coordination 75 des sans-papiers – Coordination 93 pour la lutte des sans-papiers – Coordination Femmes Egalité – Collectif Pour l’Avenir des Foyers (COPAF) – CSP 17e Saint Just – CSP 93 – CSP 95 – CSP Montreuil – CTSP Vitry – Droit Au Logement (DAL) – Droits devant !! – Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés (FASTI) – Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR) – Gauche Alternative – GISTI – Les Alternatifs – Les Verts – Lutte Ouvrière – Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP) – Marches européennes contre le chômage – Mouvement des Quartiers pour la Justice Sociale (MQJS) – Nouveau Parti Anti-capitaliste (NPA) – Parti Communiste des Ouvriers de France (PCOF) – Parti Communiste Français – Parti de Gauche – Réseau Education Sans Frontières (RESF) – Réseau Solidaire Citoyen (RESOCI) – Syndicat National Unitaire Travail-Emploi-Formation-Insertion (SNU-TEFI) – Stop Précarité – SURVIE – Union Syndicale SOLIDAIRES (SUD Travail, Solidaires Finances Publiques, Solidaires SUD Emploi)
Lire aussi :
- Un résumé des premières années de notre campagne
- Une synthèse de nos actions en direction des ambassades et consulats
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